- VELVING - Histoire et Généalogie d'un village au Pays de Nied

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Un procès entre communautés

Litige entre les communautés de Brettnach et Velving à propos de la vaine pâture dans les bois.

 

10 juin 1710. Le pâtre de la communauté de Velving fait païtre son troupeau dans le bois communal de Brettnach, contigu à celui de Velving. Jusque-là rien d'anormal à cette pratique, puisqu'on la retrouve déjà en 1600, selon les témoignages. L'affaire prend une tournure plus litigieuse lorsque les habitants de Brettnach font "...reprise de certaines pièces de bétail du troupeau des bêtes rouges..." appartenant à ceux de Velving. L'opération est renouvellée le 4 juillet avec la reprise de chevaux.

 

Le 14 juin 1710, le maire de Velving, Antoine EHL, emet une requête devant la prévôté de Bouzonville, juge de baillage, aux habitants de Brettnach et à son maire, Pierre CHRISTIAN pour "...protestation, indignation .et sommation..." à propos de cette reprise.

 

Voilà donc planté le décors du procès : d'un côté, les habitants de Velving, demandeurs, espérant obtenir réparation du dommage causé au troupeau et d'un autre côté, la commune de Brettnach, défenderesse. Cette dernière va soulever, non-intentionnellement, une autre question de droit plus controversée : existe-il une pratique de vaine pâture entre les deux communautés ? La réponse ne viendra que dix mois plus tard, avec le délibéré du tribunal en mars 1711.

 

La vaine patûre et le droit de parcours.

 

A certaines périodes de l'année, après les récoltes, les habitants avaient le droit de faire paître leurs bêtes sur toute l'étendue du ban sans tenir compte des propriétés. Cette pratique étaient néanmoins interdite du mois de mars à octobre. Dans les prés, on pouvait lâcher le troupeau après la seconde coupe d'herbe. Mais sur les prés dits "pastureaux", on les laissaient paître déjà après la première fauchée. La vaine pâture restaient impossible quand il y avait "clôture".

 

Pour les terres en friches, les terres non-ensemencées, la vaine pâture restait ouverte toute l'année pour le troupeau de la communauté.

 

Ce droit en forêt n'existait qu'après l'aval du seigneur, surtout pour les bovins et les chevaux. Il sera sévèremment règlementé à cause des dégats causés par le troupeau aux jeunes arbres. Mais jusqu'au XVIIème siècle, la vaine pâture en forêt n'était soumise qu'à la restriction de la coutume. Un grand désordre règnait dans les bois car on y envoyait un nombre illimité de bêtes à cornes et chevaux en pâture. Le maire de Valmunster avait désigné à ses habitants la partie de la forêt utilisable pour la vaine pâture en tenant compte de celle-ci. Si la croissance de la végétation d'arbustes n'était pas suffisamment avancée, il y interdisait la vaine pâture. Elle fut interdite dans les coupes de moins de cinq ans, puis dans celles de moins de neuf ans vers 1700. Mais les dégats continuèrent à s'étendre malgré ces précautions. Ainsi les Eaux et Forêts soumirent-ils la vaine pâture à une autorisation préalable de leur part.

 

Lorsque la vaine pâture s'exerçait de commune à commune, elle prenait le nom de droit de parcours. Le suivi du procès nous permettra d'en dégager quelques caractéristiques.

 

Dès 1e 16 juin 1710, le procureur (avocat) des demandeurs, Me Henri, demande que "...soit déclarée nulle, injurieuse, tortionnaire et déraisonnable la reprise faite par les défendeurs en leur bois..." En parallèle, il formule le souhait de voir condamner les défendeurs à une amende, aux dépens (frais de justice) et à l'octroi de dommages et intérêts, en plus de la restitution des bêtes. 

 

Mais dès le début, le procès s'engage sur la question de fonds, à savoir "...les habitants de Velving sont-ils en possession de temps suffisants à prescrire d'envoyer vain pâturer leurs bestiaux par droit de parcours ou de réciprocité au bois de Brettnach ?..." Ils auront un délai de huit jours pour justifier de leur possession. En clair, la commune devra justifier d'une prescription trentenaire selon la Coutume Générale de Lorraine. La comparution de 12 témoins étrangers au village, la plupart pâtre en ces lieux il y a plus de trente ans, prouve le bien-fondé de cette prescription.

 

A l'analyse de leur témoignage, trois idées se dégagent :

 

- il existait un droit de réciprocité, un usage entre les deux communautés de tous temps, pour l'avoir entendu de leur père et mère;

- il n'y a jamais eu d'empêchement de part et d'autre, même si les troupeaux allaient pêle-mêle, indistinctement dans les bois;

- en plus, les pâtres du troupeau de Brettnach venaient faire paître leurs bêtes en plaine et sur les terres en friches sur deux cantons : l'un appelé "Mouhle", joignant le ban de Teterchen et l'autre "Schwitzberg" où il y avait une fontaine (Schwitzboren) et même jusqu'à l'entrée du village de Velving, sans que les habitants leurs en fassent griefs. Parallèlement, les pâtres de Velving allaient faire boire le gros du troupeau sur le ban de Brettnach en un canton appelé "Leschborn".

 

Les jugent admettent que "...pendant que les prairies de Velving sont en défense (de faire paître pour différentes causes dont l'enclos ou les terres ensemencées par exemple), ces mêmes habitants n'ont sur leur ban, d'autres pâtures pour la subsistance de leur bétail que les bois communaux de Velving et Brettnach puisque ces deux bois sont contigus et joignant..."; ils affirment également qu'il existe un lien de réciprocité entre les deux communautés. En définitive, il est acquis que cette possession existe depuis fort longtemps "...dont il est mémoire d'origine...". Mais un supplément d'enquête est demandé par Nicolas Joseph DUSOUL, lieutenant en la prévôté, baillage de Bouzonville. Les témoignages recueillis à cette occasion concordent parfaitement avec les premières déclarations, avec toutefois une appréciation plus nuancée de la part de deux d'entre eux. Pierre LEIDINGER, 21 ans, demeurant à Holling, ancien valet d'Antoine EHL, laboureur à Velving, affirme qu'il existait un mise en garde des habitants de Brettnach, selon ces termes "...il fut averti par le pâtre de Brettnach qu'il ne devait point s'abandonner plus loin, ni sortir desbornes ni lisière du bois à cause qu'il y serait repris..."

 

Un autre, Adam JOUNGH (JUNG) de Tromborn, 22 ans, valet à Brettnach chez Jacob BERWEILLER, laboureur, affirme "...qu'il vait ouï dire par des habitants de Brettnach, mais néanmoins qu'ils ne l'ont pas fait, qu'il fallait empêcher les bestiaux de ceux de Velving de vain pâturer en lesdits bois communaux de Brettnach..."

 

On voit bien, sur le serment prêté par ces deux témoins qu'il existait une mise en garde, non fondée d'ailleurs, sur le troupeau de Velving de la part des habitants de Brettnach.

 

La défense s'est retranchée derrière deux documents pour faire valoir ses droits. Le premier est un compte-rendu de 1600 du sieur Jean HUART, fermier et receveur du sieur Prieur de Rozelieux (Rozerieulles), Seigneur en partie de Brettnach, qui revendique la franchise des bois communaux de Brettnach.

 

Le second, l'article 23  du Titre des Servitudes en la Coutume Générale de Lorraine, pose la question de savoir "... pour avoir passé ou repassé sur quelques héritages appartenant à la communauté de Brettnach, sont en droit de vain pâturer..." Toujours selon le même article, la coutume prétend "... que quiconque a joui d'un droit pendant 30 ans, n'acquiert ce droit, en toute propriété et en conformité avec ce droit commun..." L'interprêtation des textes par les jugent diffère de celles des défenseurs.

 

L'interprêtation des juges.

 

S'agissant du compte-rendu de 1600, il ne peut porter atteinte au droit revendicatif des demandeurs pour tois raisons.

 

Premièrement, ce compte-rendu prétend uniquement que les bois de Brettnach sont "... tellement francs que celui qui est repris confisque chars et chevaux..." sous-entendu seulement les chars et chevaux de ceux qui n'ont aucun droit d'y pénétrer mais pas les demandeurs dont le droit est incontestable pour la vaine pâture.

La seconde raison, c'est que cette franchise dont parle ce compte-rendu s'apparente uniquement au "... bois coupé et amené sur chariots et non pas par rapport à la vaine pâture du troupeau..."

La troisième raison, c'est que la Coutume Générale de Lorraine qui autorise les possessions de trente ans, prend le pas sur tout titre authentique : elle est, dans la hiérarchie des sources juridiques de l'époque, au-dessus de l'acte écrit.

 

S'agissant de l'article 23 de cette coutume, il n'est pas question de savoir si les demandeurs "... pour avoir passé ou repassé..." sur le ban de Brettnach, sont endroit de vaine pâture mais plutôt s'ils ont le droit et le possession de jouïr de la vaine pâture dans le bois de Brettnach. Un bon nombre de témoignages recueillis semblent affirmer cette prescription trentenaire et même au-delà. Les défenseurs ne pouvant prouver le contraire, qu'à partir du moment ou cette possession est interrompue "... par des reprises dans les formes faites (et non pas arbitrairement comme c'est le cas) par gens ayant caractère et par le paiement de quelques amendes règlées à des plaids annaux..." La justice conclue que sur les rares confiscations faites par les gens de Brettnach (reprises considérées d'ailleurs comme des "jeux d'enfants"), l'on ne peut considérer que cette prescription s'éteigne.

 

Autre point important du dossier qui a joué en faveur des demandeurs : la contenance des deux bois. Les défendeurs ont exagéré inutilement le leur, même s'il n'existait aucune borne ni séparation entre les propriétés forestières à cette époque.

 

La conclusion du procès est logique, elle reconduit les demandeurs en leur droit dans les termes ci-après :

"... les demandeurs sont maintenus et gardés au droit et possession d'envoyer vain pâturer leur troupeau et chevaux dans le bois communal de Brettnach en tou temps et tout endroit non prohibé et en conséquence les reprises faites par les défenseurs le 10 juin et le 4 juillet, des bêtes rouges et des chevaux appartenant aux demandeurs pâturant dans lesdits bois, déclarer nulles, injurieuses, tortionnaires et déraisonnables, les défendeurs condamnés en telle amende qu'il plaira à Messieurs arbitrer en 100 francs de dommages et intérêts et aux dépens..."

 

CONCLUSION

 

Pourquoi la pâture dans les bois est-elle devenue une nécessité pour les habitants de Velving, alors qu'elle aurait pu s'établir sur les prairies et les terres de la commune ?

 

Au vue de l'enquête menée dans ce procès, il s'avère que la pâture sur le ban de Brettnach n'était pas abondante et elle l'était encore moins sur celui de Velving, même si l'on commençait à défricher les terres incultes. Ainsi il ne restait que la pâture dans les bois pour la subsistance des bêtes dès que les prairies étaient mises en défense.

 

Après 1710 et jusqu'à la rédaction des Cahiers de Doléances de la communauté de Velving et Valmunster du 9 mars 1789, les problèmes de subsistance sur le ban ne cessèrent de s'accroître. L'article 2 des plaintes et remontrances met en avant les clôtures que les seigneurs ou fermiers font autour de leurs prés et que les particuliers ne peuvent pas faire de même."...Il serait juste...", conclut l'article, "... que chaque particulier profitât de ces prés sans enclos..." L'article 12 prévoit que chaque particulier fassent des plantations de prés artificiels pour avoir des fourrages et que les prés soient gardés et soignés sans clôture. Les habitants demandent également la suppression de la vaine pâture nocturne.

 

Autre exemple de difficultés rencontrées : le 8 septembre 1761, le syndic de la communauté de Velving délibère sur "...différents terrains que plusieurs habitants du même lieu ont de leur chef fermés pour les laisser croître en herbe, qu'ils ne se contentent point d'y faucher et enlever le premier poil, mais encore le second poil en regain au préjudice de la pâture commune..."

 

Devenue difficile à mettre en oeuvre et rencontrant de nombreux problèmes soit avec les bans voisins où à l'intérieur même du périmètre du village, la vaine pâture a été rétablie en 1789, mais en lui imposant des limites (après les récoltes, pas sur les prairies artificielles, pas de pâture nocturne, interdictions pour les communes voisines).

 

A travers ce procès, il apparait clairement que la coutume avait à l'époque un poids considérable dans la société puisque le droit ecrit n'avait pas de fondement ; elle régulait les rapports des gens entre eux, entre les communautés ainsi que l'activité économique. Etablie petit à petit avec le temps, elle trouve dans la tradition le principe de son autorité. Pour pouvoir exister, il lui faut un élément matériel, le long et constant usage et le caractère obligatoire de cette règle coutumière.

 

Jean Marc NIMESGERN - JUIN 1994

 

Sources :

Archives municipales de Velving-Archives paroissiales de Valmunster-Cahier de Doléances de Pays de Nied-ADM

Bibliographie :"Valmunster et son Eglise du Xème siècle" Abbé G. WEILAND  - "Léxique historique d'ancien régime" G. CABOURDIN et G. VIARD



27/06/2009
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